Rencontre étonnante [PV Connor]

Une soirée comme les autres qu’il avait dit. Elle lui en foutrait des soirées comme les autres. Rien ne se déroulait comme prévu et cela aurait été bien étonnant. Le convoi de vivres n’était pas arrivé à destination, pas à l’heure spécifiée, et la situation avait mis les nerfs à rudes épreuves. Tout le monde avait besoin de se nourrir, les enfants encore plus que les adultes. Face à la nervosité ambiante, Thomas avait tenté l’humour afin de rassurer Charlotte. Celle-ci avait été une bombe à retardement. Elle ne supportait pas quand la situation lui échappait et que les plans ne se passaient pas au millimètre près. Et pourtant, les retards de quelques minutes n’étaient pas exceptionnels. L’unique différence était la présence de médicaments dans le ravitaillement organisé. Les Affranchis manquaient cruellement de soins et Charlotte ne plaisantait pas avec un tel sujet.

Diriger tout ce petit monde n’était pas un camp de vacances et elle ne remercierait jamais assez Thomas pour son soutien depuis le début. Elle ignorait ce qu’elle ferait sans lui. La femme avait quitté leur planque dans les égouts après l’arrivée du convoi. Soulagée de la bonne réception et d’un voyage sans difficulté pour les siens, elle était partie en direction de la forêt. Charlotte se rendait régulièrement à leur premier quartier général, abandonné depuis pas mal de temps. La vieille bâtisse servait de lieu de passage pour les Déchus cherchant refuge auprès des Affranchis, ou tout simplement de cachette si la situation exigeait la fuite des villes pendant un temps. Charlotte veillait donc à ce que personne ne restât sur place et organisait un tour de garde. C’était là-bas que tout avait réellement commencé et la femme avait un brin de nostalgie par moment.

Charlotte ajusta son écharpe et resserra sa veste usée, tandis que ses rangers marquaient la terre. Le vent se leva et fit voler sa chevelure brune. Le soleil commençait à se coucher dans une teinte orangée. La brume s’étendait à l’horizon, masquant les hauts arbres de la forêt. Charlotte se stoppa un instant et observa la ville. Elle était hideuse, bruyante et sentait mauvaise. Elle était tout ce que Charlotte détestait. À l’extérieur, elle respirait. Elle était libre. Malgré le danger et l’angoisse qui habitaient la forêt, Charlotte la préférait. Elle était une source de tranquillité et Charlotte en profitait avant de replonger en enfer.

Elle finit par atteindre la maison abandonnée. Tout était silencieux. Enfin, seuls les bruits de la nature se faisaient entendre. Personne. L’endroit était vide. Charlotte s’avança, monta les quelques marches du perron qui grincèrent et entra dans la bâtisse. Rien n’avait bougé. Des boîtes de conserve trônaient encore dans les placards et Charlotte soupira. Les derniers Affranchis à être passés ne les avaient pas rangés dans la planque sous le plancher. C’était risqué. N’importe qui pourrait voler leur nourriture ou penser que les lieux étaient habités.

— Quels crétins !

Charlotte les saisit pour se charger du rangement lorsqu’un bruit la stoppa. Ce n’était pas un animal. Elle connaissait suffisamment cet endroit pour savoir que c’était tout, sauf naturel. Avec discrétion, elle empoigna son poignard et longea le mur de la cuisine. Charlotte évita les fenêtres, même si elle essaya de repérer quelque chose à l’extérieur de l’habitation.

Son cœur s’emballa, mais la femme préserva son calme. Ami ou ennemi, elle l’ignorait encore et elle voulait à tout prix éviter un affrontement inutile.

"Rencontre étonnante"

"C'est chez moi... mais... chez vous aussi..."

La nuit venait de tomber, tout allait être parfait. Du moins, c'était ainsi qu'il le sentait. Était-ce parce qu'il avait réussi sa journée de chasse avec ses pouvoirs et qu'il s'attendait à retrouver certains animaux dans des cages qu'il avait posées ce matin. Il avait hâte de le voir et d'user une nouvelle fois de son pouvoir d'influence pour forcer l'animal à couper sa respiration. Il n'avait que cela en tête comme l'horrible meurtrier qu'il était depuis longtemps.

Sa cape, ainsi que son carquois, sur ses épaules, Connor quitta sa modeste et petite cabane dans les bois. Il avait envie que cela dure moins de temps que ces fois habituelles. En vérité, il voulait profiter d'une bonne soirée de repos. Il le méritait, surtout qu'il savait que le lendemain, il vendrait cette viande animal ainsi que toutes ces peaux. C'était son gagne-pain, sa seule manière de pouvoir se nourrir en légumes ou en vêtement de ville. Sa nouvelle vie était comme cela et il avait appris à s'y faire ; difficilement, mais sûrement.

Le froid extérieur le prit de court ; le temps était souvent bien plus rafraîchit dans cette sombre forêt et pourtant, cela ne le dérangeait que pendant les premiers instants. Sa marche se fit lente, cherchant les endroits où s'étaient fait prisonniers un bon nombre d'animaux. Le terrain de chasse se rouvrait pour la récolte. Toutefois, Connor savait qu'il devait être prudent. Combien de fois n'avait-il pas vu des déchus tenter de fuir la ville par les bois à la recherche d'une meilleure vie ? Mais jamais, il n'eut été contre cela, mais il savait que la nuit était le signal au décloisonnement de l'imagination, et les réactions violentes, paranoïaques apparaissaient souvent dans la partie, et un bon nombre de fois, il avait dû faire appel à ses pouvoirs afin de les apaiser afin de travailler dans de plus calmes conditions. Cela lui faisait de la peine de manipuler les gens, mais il n'avait point le choix, et ce qu'il pût le vouloir ou non.

Mais là n'était point la question ; il s'agissait ici de retrouver les futurs cadavres de ses victimes. Il devait les détacher et les ramener le plus rapidement possible, au risque que de n'y retrouver des dépouilles déjà goûtées par les charognards ; cela représentait un risque pour son métier ; un défaut de qualité et surtout un déficit de sa finance. Alors, devait-il encore prendre des risques en y allant lentement à cause de sa bonne humeur eue dans la journée ? Certainement pas.

Il s'arrêta toutefois près du célèbre cabanon d'où il avait apaisé les divers passants qui n'avaient point fait attention à lui. Mais étrangement, c'était la première fois qu'il n'entendait pas de bruits alors que les lumières semblaient avoir pris le pouvoir sur la pénombre. Il s'approcha donc, brisant à son passage quelques branches.

Tant pis pour la discrétion...

De l'une de ses mains, il tira une flèche de son carquois et la brandit à son arc. Autant utiliser de ses mains que de ces pouvoirs dans ce genre de situation. Il s'approcha donc doucement, s'il devait y avoir un meurtrier à l'intérieur, autant le tuer à son tour.

En silence, Charlotte s’avança vers la porte d’entrée. Elle scrutait chaque issue, notamment les fenêtres, pour repérer la moindre intrusion et pour déterminer le nombre d’étrangers à l’extérieur de la bâtisse. Dos au mur, elle glissa près d’une vitre à côté de la porte. Malgré sa discrétion, rien ne retenait le vieux plancher de grincer sous son poids. Elle soupira à ce fait dont elle ne pouvait rien faire. Charlotte devait composer avec et elle s’adapterait. Sans un mot et lentement, elle dégagea une petite partie du fin rideau afin d’observer pour — ensuite — prendre une décision. Là, elle aperçut un drôle de type déguisé eu Robin des Bois des temps modernes. Perplexe au début, Charlotte laissa un sourire d’amusement se dessiner sur ses lèvres ; cet homme ne valait pas Kevin Costner dans ce rôle. Ce n’était pas tout les jours qu’elle était confrontée à une telle situation. Dans tous les cas, cela ne laissait supposer qu’une seule chose : il vivait dans la nature. Son allure donnait avec certitude son style de vie. Personne en ville ne se vêtirait de la sorte. Le seul problème, et pas le moindre, était que Charlotte ignorait sa nature ; elle devrait donc faire très attention à ses paroles et ses gestes.

Son objectif était d’éviter le conflit. S’il s’agissait d’un simple humain, Charlotte pourrait s’en sortir sans trop de difficulté, mais s’il était « autre chose »… elle ne vendrait pas cher sa peau. Charlotte soupira. La diplomatie, c’était pour Thomas et pas pour elle. Foncer dans le tas était sa spécialité. Cependant, elle avouait s’être assagie avec le temps. Diriger tout un groupe de rebelles forgeait le caractère dans le bon sens, bien qu’elle préservât son côté impulsif et tête de mule : ce qui faisait tout son charme selon son ami d’enfance. Bref. Charlotte secoua la tête, ce n’était pas le moment de rêvasser. L’avantage était dans les issues verrouillées. Sauf erreur de sa part, seule la porte d’entrée restait accessible et en supposant que personne ne passerait par les fenêtres.

L’humaine réfléchissait à la meilleure stratégie. Elle devait songer au pire : un Élu ou un Mutilé, et — sérieusement — les deux s’équivalaient de son point de vue. Charlotte resterait une proie facile, quelle que fût la nature de cet étranger. Elle l’observa avec discrétion une dernière fois. Pas d’affrontement, c’était son objectif. Elle prévalait la prudence. La femme saisit un drap blanc sale qui traînait sur une chaise et déchira un morceau. Bah oui, elle n’avait pas de colombe sous la main. Puis, elle posa sa main sur la poignée de la porte. Elle l'ouvrit avec douceur et passa le tissu en signe de paix. Bon sang ! Elle ne raconterait cela à personne.

— Je ne cherche pas les ennuis. Je ne suis que de passage.

Et non, Charlotte ne pouvait pas décemment avouer qu’elle était désarmée. Cela serait mentir comme un arracheur de dents. Elle garda son poignard rangé, respira profondément et ouvrit davantage la porte. Dans tous les cas, elle ne pouvait pas rester ici. Se planquer et attendre que la menace passât n’était pas dans ses habitudes.

— Je sors. Ne tirez pas !

Si cet homme vivait exclu de la société et au milieu de cette forêt, Charlotte espérait qu’il fût assez sain d’esprit pour éviter de prendre tout le monde pour un ennemi. En ville, la femme aurait tenté une sortie furtive, car personne n’était seul et le danger se trouvait à chaque coin de rue. Ici, elle souhaitait être face à un individu raisonné. Mains en évidence dans le but d’éviter toute confusion, elle sortit de la vieille bâtisse et fit face à l’étranger. Charlotte se dressa, droite et fière. Elle ne montrerait aucun signe de faiblesse.

"Rencontre étonnante"

"C'est chez moi... mais... chez vous aussi..."

L'arc toujours tendu, Connor ne baissa point sa garde. Il n'allait point faire cette erreur ; la forêt était un lieu où la méfiance régnait en maître. Alors, il lui était hors de question de faire confiance à cette personne. Et quelle ne fut donc pas sa réaction quand elle sortit, annonçant par la même occasion le fait qu'elle était uniquement de passage, mais Connor n'était point dupe ; il était assez intelligent pour comprendre qu'elle tentait de détourner son attention afin de le reprendre par surprise. Mais connaissait-elle les codes qu'il avait acquis avec les années dans cette forêt – bien que deux ans n'eussent été suffisants dans cette situation.

— Veuillez décliner votre identité complète ! Nom, Prénom, âge, clan et la raison de votre venue dans la forêt : êtes-vous ici pour trouver un moyen d'échapper à Noctis ? Ou cherchez-vous simplement de la nourriture ? Dans ce cas, je pourrais peut-être vous être utile.

Il disait ces mots avec beaucoup de retenue. Il n'allait pas pouvoir rester calme plus longtemps, surtout s'il venait à comprendre qu'il était en danger dans sa propre demeure. Cette forêt, ces pièges, il avait eu deux ans pour les connaître par cœur, ce qu'il avait fait avec le temps. Hors de question de tomber la garde avec des inconnus ; enfin avec une inconnue.
Il continuait de la viser, peut-être se sentirait-il plus détendu si cette mystérieuse femme venait à lui dire la vérité. Mais, il pouvait en faire de même sans avoir à la manipuler mentalement, après tout, au vue de sa faible expérience sur son pouvoir, elle sentirait son intrusion dans son esprit.

— Si vous préférez, afin d'éviter la non-réciprocité d'une potentielle réponse. Je vais moi-même me présenter. Connor O'Lux, j'ai 24 ans et je suis chasseur depuis deux ans. Cette forêt est ainsi donc ma maison et mon lieu de travail. Je ne suis donc pas en train de vous chasser, mais de chercher des réponses à votre venue dans une forêt à une heure si tardive, surtout que cette forêt peut-être dangereuse si nous ne sommes pas assez attentif en pleine nuit.

Le jeune homme restait particulièrement tendu. Il ne voulait pas la stressé, mais lui montrer et la prévenir de la dangerosité d'un lieu aussi unique en son genre. Même s'il commençait à douter de ses propres actes. Il ne voulait guère provoqué un état de stress ; si elle stressait, il ne pourrait pas se retenir sur l'utilisation de son propre pouvoir afin de la maintenir ; autant donc pour lui que tout se passe comme prévu : dans le calme et la sérénité.

Perplexe, Charlotte fronça les sourcils. Était-ce une plaisanterie ? Aux dernières nouvelles, elle se trouvait au beau milieu de la forêt et non dans une salle d’interrogatoire glauque pour se faire cuisiner par les autorités. Elle aurait pu rire de cette demande incongrue, mais elle se tenait face à un « mutant ». Un Élu ou un Mutilé, peu importait. Les deux étaient dangereux pour elle. La femme ignorait la raison qui lui mettait cette puce à l’oreille. Son comportement sans doute. Un simple humain ne serait pas aussi assuré en pareille circonstance. De plus, aucun Déchu ne pouvait prétendre vivre ici seul et longtemps. La mort attendait ceux qui se lançaient dans l’aventure. Charlotte connaissait suffisamment cette situation pour le savoir.

Ce Connor était sérieux. Il la visait sans broncher et Charlotte ne voulait pas se retrouver avec une flèche dans la tête. Pouvait-elle pour autant décliner son identité ? Cela était risqué et inconscient. Et pourtant, Connor semblait bien vivre dans cette nature sauvage et à l’écart de la civilisation. Probablement qu’il ignorait l’existence des Affranchis et cela pouvait être un avantage pour Charlotte. L’humaine n’avait pas peur de lui. Elle n’avait plus peur de beaucoup de choses depuis bien longtemps ; sauf de perdre son meilleur ami.

Elle baissa les bras lentement. Charlotte resta calme. Après tout, c’était elle la cible en cet instant et elle ne devait pas l’oublier. Le moindre faux pas et c’était la mort assurée.

— Je connais aussi très bien cet endroit. J’y ai vécu un moment, il y a longtemps maintenant.

Et cela expliquait le fait qu’elle n’eût jamais croisé Connor auparavant. Les Affranchis avaient abandonné les lieux depuis plus de deux ans désormais.

— Je m’appelle Charlotte, j’ai 35 ans et… je suis humaine. Simplement humaine.

Aucun mensonge dans sa bouche. Juste quelques omissions, car elle jugeait imprudente de trop en dévoiler sur son identité. Très calme face à la situation, elle prouva également qu’elle ne détenait pas d’armes à feu. Trop bruyant. Trop polluant. Elle préférait les armes blanches sur lesquelles elle savait pouvoir s’appuyer sans mauvaise surprise. Les lames ne s’enraillaient pas. D’un geste bref, elle montra son poignard rangé et Charlotte espérait que sa bonne volonté fût prise en compte par Connor. Bon sang ! Elle qui voulait un aller-retour rapide, c’était loupé. Elle souhaitait seulement que Thomas ne s’inquiétât pas de son retard.

— Comme déjà signalé, je ne suis que de passage. Et, croyez-moi, si je cherchais un moyen de quitter cet enfer, je ne serais pas là. Ce n’est pas ici que je trouverai ma liberté, loin de là.

Charlotte prit le risque de faire quelques pas pour accéder au perron de la vieille maison. La liberté. Sa liberté. Leur liberté. Ce mot semblait si cruel en réalité. Si inaccessible. Certains Affranchis avaient la sensation de la tenir entre leurs mains ; or, ce n’était qu’une douce illusion. Vivre dans l’ombre et craindre l’avenir, ce n’était pas de la liberté, non. Au contraire, ils restaient enchaînés au bon vouloir des autorités. Dans le fond, la liberté n’existait pas.

Un soupir passa entre ses lèvres.

— Si cet endroit vous appartient, veuillez m’excuser du dérangement. Ce lieu a longtemps été abandonné et j’ignorais que quelqu’un y avait élu domicile. Et, dites-moi, que fait un Élu dans cette forêt ? Loin de tout pour se transformer en Robin des Bois des temps modernes ?

Connor était un Élu, un « mutant » au moins. Le contraire serait étonnant. Charlotte les connaissait assez pour les repérer. Elle connaissait assez les humains pour savoir qu’il leur serait impossible de vivre ici en solitaire. Seule une de ces « choses » le pouvait. Elle acceptait de se tromper, mais elle en doutait.